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La fondation d’Hautecombe, entre légende et histoire. 

L’histoire de la fondation de la célèbre abbaye se confond avec la légende. C’est au cœur d’une petite combe, proche du village de Cessens, sur le plateau de Paquinot, qu’à l’aube du XII ème siècle (vers 1101-1109), quelques hommes voulant se rapprocher de Dieu, se rassemblèrent pour se vouer à la vie religieuse.

Sur l’origine de cette première communauté, deux versions bien assises, mais difficiles à démêler de la légende s’affrontent :

  • Celle d’une communauté d’hommes se retirant spontanément du siècle.
  • Celle d’un essaimage de l’abbaye St Jean d’Aulps, en Chablais.

Cependant Hautecombe est née de la rencontre de ces premiers moines avec un homme peu ordinaire, Saint Bernard de Clairvaux.

Saint Bernard, réformateur des ordres monastiques à la suite de Robert de Molesme et fondateur de Clairvaux, est l’homme phare de son siècle,  le prédicateur de la croisade.

Le transfert du monastère 

La légende veut que Saint Bernard se soit arrêté une nuit à Hautecombe, alors qu’il était en chemin pour rencontrer Saint Bruno à la Grande Chartreuse en l’an 1125.

Cette nuit là, une lueur divine partant du monastère d’Hautecombe, en Albanais, alla se poser sur un promontoire naturel, au bord du lac du Bourget, à l’emplacement d’un ancien village appelé Charaia.

Peu de temps après, sous la conduite de leur abbé Vivien, les moines s’installèrent à l’endroit désigné de manière aussi surnaturelle.

L’histoire retiendra qu’en 1135, les moines d’Hautecombe adoptèrent la règle cistercienne, et que l’abbaye s’affilia à Clairvaux.

Une charte de 1144 rappelle que cette terre et celle contiguë d’Exendilles (St Gilles), furent données aux moines par le Comte de Savoie, Amédée III.

Les moines s’installèrent sur les ruines d’un ancien habitat, dont les premières traces remontent à l’âge du bronze. Ils avaient à leur disposition les restes d’une chapelle du X ème siècle, dépendant du prieuré du Bourget, dont ils firent leur oratoire, et autour duquel ils édifièrent leurs cellules, et quelques bâtiments agricoles précaires.

Les restes de ce premier édifice roman se voient dans les fondations de la chapelle St André.

Les Comtes de Savoie menaient alors une politique d’expansion territoriale, qui les faisait se heurter fréquemment à leur voisin immédiat, le Comte de Genève.

L’ancien site de l’abbaye de Hautecombe se trouvait aux confins des deux comtés, dans une zone de combats fréquents. De plus les cisterciens, contrairement aux bénédictins, choisissaient toujours des endroits reculés, loin des routes pour s’installer.

Dom Romain Clair avançait  la thèse qu’Amédée III aurait voulu les placer à cet endroit pour contrôler la route du sel, remontant par le Rhône jusqu’en Savoie.façade

Les protections des Comtes de Savoie.

A partir de cette époque, Hautecombe entre sous la haute protection des Comtes de Savoie.

Un des premiers abbés d’Hautecombe, Amédée d’Hauterives, fut un homme célèbre en son temps. Il était originaire d’une famille noble de la Chattes en Dauphiné.

Saint Amédée fut peu de temps à la direction d’Hautecombe (de 1139 à 1144). Sa renommée le conduisit à l’évêché de Lausanne d’où il continua de veiller à l’aménagement et à la prospérité d’Hautecombe. C’est à cet homme que l’abbaye doit ses liens privilégiés avec la famille de Savoie.

Le Comte de Savoie  Amédée III, avant de partir pour la croisade prêchée par Saint Bernard, confia son fils Humbert à la garde de Saint Amédée. Humbert resta, tout au long de son règne, en étroites relations avec Amédée d’Hauterives, auprès de qui il prenait conseil, et il entoura Hautecombe de sa bienveillance, la dotant de nombreux biens et revenus. Humbert III, à l’âme plus religieuse que politique, faisait de fréquents séjours à Hautecombe. La légende veut même qu’il s’habilla en tenue monastique lors de ses visites.

C’est tout naturellement qu’il songea à cette terre bien aimée pour y enterrer sa femme, Anne de Zoeringen, avant d’y établir sa propre sépulture, inaugurant une tradition qui allait se poursuivre de nombreux siècles.

Tout au long des  XIII ème et XIV ème siècles, les biens de l’abbaye s’accrurent considérablement : des biens en domaines agricoles ( Granges à Aix, à Lavours, …, plusieurs montagnes dans les Bauges) mais aussi des droits seigneuriaux.

Le Comte Thomas Ier leur avait fait donation de plusieurs villages situés au pied du Revard, ( Drumettaz, Clarafond, Méry…) en échange d’un prêt pour l’achat de la ville de Chambéry.

Par cette charte, l’abbaye était devenue une puissance féodale, possédant des droits de justice sur les hommes et sur les territoires.

Les moines contrôlaient aussi certains moulins et des fours de la ville de Chambéry. Ils étaient possessionnés jusqu’à Lyon, dans le quartier du Pont de la Guillotière, où ils étaient maîtres de plusieurs revenus, et de l’hospice de la Guillotière.

Les abbés réguliers d’Hautecombe, durant cette première période, étaient en général des personnages de grande qualité dont plusieurs furent élevés à la dignité épiscopale. Ils étaient souvent employés par les comtes de Savoie pour régler les différents qui les opposaient à leurs voisins. On les voit apparaître comme garants des conventions et traités de paix.

La construction du monastère. 

Humbert III est parfois considéré comme le fondateur d’Hautecombe. C’est grâce à sa prodigalité que fut construite la première église de l’abbaye, et que furent faits les nombreux aménagements de bâtiments agricoles.

L’église avait à peu près les dimensions du bâtiment actuel. On ne connaît pas la date exacte de sa construction.

Elle était de style gothique, certainement très sobre comme toutes les églises cisterciennes, orientée d’Est en Ouest avec un petit défaut dû au terrain. Sa voûte s’élevait à 14 m 45.

La fameuse «  Grange batelière » ou « Voûte » fut édifiée au XIII ème siècle par Boniface de Savoie, archevêque de Canterbury.

Des chapelles complétaient l’édifice :portail

La première construite fut la chapelle des Princes, bâtie pour servir de nécropole aux princes de la maison de Savoie, par le Comte Aymon en 1342.

La chapelle avait une voûte peinte aux couleurs de la famille de Savoie, (croix d’argent sur fond de gueule) et était décorée de fresques des peintres florentins Jean de Grandson et Georges d’Aquila ( un élève de Giotto).

De l’autre côté du cœur se trouvait la chapelle fondée par la comtesse Bonne de Bourbon, en 1355, dédiée à St Bernard et à St Benoit.

Une autre chapelle fut fondée en 1421 par Humbert, comte de Romont, un des fils naturel du comte rouge.

Enfin, la chapelle des Barons de Vaud, branche cadette de la famille de Savoie, fondée au   XIV ème siècle, complétait l’édifice.

Le Comte Aymon, en même temps que la chapelle des princes, avait fait construire un vaste château, à l’emplacement des bâtiments agricoles actuels. Mais sa femme étant morte au château l’année de l’inauguration de la chapelle des princes, le château fut abandonné et plus jamais habité.

La dernière chapelle, dite de Belley, fut fondée par Claude d’Estavayé, abbé d’Hautecombe et évêque de Belley en 1516.

Elle se trouve à l’entrée actuelle de l’église. A cette occasion la porte d’entrée fut déplacée au Nord. Sa façade gothique flamboyant se voit toujours sur le côté de l’église.

De cette époque subsiste aussi la porte de l’aumône, au sud du monastère, ancienne entrée de l’enceinte, datant du XIV ème siècle.

A cela il faut ajouter un cloître au Nord. L’aile Est servait aux moines, avec la petite sacristie, la salle du grand chapitre, le parloir, le scriptorium et le dortoir à l’étage. L’aile Sud comprenait la cuisine, le réfectoire et l’aile Est était réservée aux Convers.

Le temps du déclin, de la commende aux pillages révolutionnaires.  ( XV ème – XVIII ème siècles). 

Les abbés commendataires. 

La richesse de l’abbaye est à l’origine de sa perte car, dès la fin du XV ème siècle elle attisa les convoitises et fut soumise à la commende.

La commende, pratique dont l’origine remonte au besoin des monastères de se mettre sous la protection des puissants, permettait aux grands seigneurs, qu’ils soient laïques ou ecclésiastiques, d’être nommés à l’abbatiat et de jouir des revenus des institutions, sans pour autant être tenus à résidence dans le monastère dont ils étaient investis.

C’est vers 1440 que Hautecombe tomba en commende au profit du chambellan et aumônier du Comte Amédée VIII, Pierre de Bolomier.

Certains de ces abbés commendataires furent cependant des hommes de valeur. Le plus célèbre, Alphonse Delbène, investi en 1560 par sa protectrice, la Duchesse Marguerite de Valois porta un véritable intérêt à l’abbaye. D’une famille d’origine florentine, cet abbé était un érudit, ami de Ronsard et passionné d’histoire.

Les ressources de l’abbaye, détournées de leurs objectifs primitifs, ne permettaient plus d’investir dans l’entretien du domaine et les bâtiments tombèrent progressivement en ruines, au point qu’au début du XVIII ème siècle la voûte de l’église s’écroula.

Le nombre de moines résidents qui étaient 24 au XVI ème siècle fut ramené à 7 à la fin du XVIII ème siècle et les règles de la vie monastique cistercienne se trouvaient très relâchées.

Les tentatives de la Réforme  et les tentatives de restauration.

Au début du XVII ème siècle, alors que la Savoie connaissait un renouveau religieux à travers la Contre-Réforme et grâce à l’action de Saint François de Sales, la régente Christine de France s’intéressa à Hautecombe et fit établir une commission par le Sénat, chargée de rendre compte de l’état du monastère.

Le rapport déclara Hautecombe en péril, aussi bien au niveau des bâtiments que des sources de revenus. Le roi ordonna en 1719, à l’architecte Castelli, d’établir des plans pour la restauration des bâtiments. Des travaux furent engagés mais l’argent manquait.

Survint alors la guerre de succession d’Autriche et l’invasion de la Savoie par les troupes espagnoles en 1742. Cette brève période qui se prolongea jusqu’en 1748 fut profitable aux moines qui retrouvèrent la jouissance de l’intégralité des revenus de leur abbaye et entreprirent de la reconstruire.

C’est de cette époque que datent les bâtiments conventuels, dressés sur les plans de l’architecte Garella.

De 1727 à 1729 on restaura l’église puis, pendant l’occupation espagnole, de 1742 à 1753 on reconstruisit le cloître et l’aile Ouest (cave, passage, escalier, trois chambres à l’étage et des appartements pour le roi). Puis vint le tour de l’aile sud avec le réfectoire et diverses salles modifiées au XIX ème siècle.

De retour dans le giron savoyard, la situation de l’abbaye ne s’améliora pas. L’abbé commendataire Marelly, ne fit aucune objection quand le Sénat de Savoie, en charge des patronages royaux, s’arrogea la gestion directe du bénéfice d’Hautecombe.

Le roi fit ensuite passer cette gestion par la Cour des Comptes  puis, par bulle du pape du 3 avril 1752 et avec l’appui du roi Charles Emmanuel III, l’abbaye fut unie au chapitre de la Sainte Chapelle.

La dernière partie reconstruite fut l’aile Est, comprenant la salle du chapitre, la prison, la grande sacristie et des chambres à l’étage.

Pendant toute cette période, les moines se trouvèrent en conflit permanent avec le chapitre de la Sainte Chapelle et avec le roi pour la répartition des revenus de l’abbaye.

Les temps funestes de la Révolution.

En septembre 1792, les troupes du Général Montesquiou entrèrent en Savoie. L’abbaye fut saisie comme bien national.

L’abbaye royale d’Hautecombe eut à subir les dommages infligés aux tombeaux royaux pris par le décret de la Convention Nationale contre les symboles de la royauté en France. La nécropole fut pillée, les tombeaux ouverts et les restes des souverains de la Savoie dispersés.

En 1799, l’abbaye fut vendue avec les dépendances aux citoyens Leger et Landoz.Ceux-ci entreprirent d’installer une faïencerie à Hautecombe qui eut un certain succès jusqu’en 1808.

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Alphonse de Lamartine

Les vastes bâtiments furent ensuite laissés à l’abandon et la visite des ruines devint un pèlerinage incontournable des romantiques en cure à Aix-les-Bains.

On vit passer à Hautecombe l’Impératrice Joséphine, Lamartine, qui laissa ses initiales gravées sur le mur de l’abbaye et bien d’autres personnalités de premier plan. 

Renaissance de l’abbaye, les rois de Sardaigne. (1824-1983)

La restauration des princes de Savoie sur le trône de Sardaigne eut lieu en 1815.C’est lors d’une des visites de Charles Félix en Savoie, en 1824, que celui-ci s’enquit du devenir des ruines d’ Hautecombe et décida de racheter les restes de l’abbaye sur ses fonds propres.

Il chargea l’ingénieur piémontais Ernest Mélano de restaurer l’abbaye et de reconstruire les parties les plus abîmées.

Les travaux ne purent être finis du vivant du roi et furent continués par la reine Marie-Christine jusqu’en 1843.

Charles Félix avait donné à Mélano des instructions très précises pour reconstruire Hautecombe dans le style gothique troubadour, tel qu’il s’imaginait les bâtiments primitifs. Il fit appel à des sculpteurs et des peintres italiens pour la décoration.

Une gravure tirée de l’ouvrage commémoratif de Chibrai montre la reine Marie-Christine donnant ses ordres à la muse de l’architecture, sous le regard de la statue du roi décédé et l’inspiration  divine. 

« J’ai préféré l’architecte Mélano pour présider aux ouvrages et faire un plan pour le rétablissement de l’ancienne abbaye d’Hautecombe, non seulement d’après les bonnes informations que j’avais de lui, mais encore à cause que je l’ai cru plus propre que tous les architectes piémontais qui servent ordinairement la Cour à exécuter ponctuellement le plan que je me suis proposé, qui est de faire revivre l’ancienne église et point d’en bâtir une nouvelle. » Charles Félix la 29/8/1824 in instruction à Mélano.

La reconstruction commença par la chapelle de Belley et la chapelle des Princes. Des fouilles furent organisées de 1824 à 1826 pour retrouver les restes des dépouilles princières et les identifier. L’église fut consacrée en grande pompe en 1826.

Charles Félix s’était fait construire une chapelle (la chapelle St Félix), à la place de l’ancienne chapelle de Romont. C’est la seule partie du bâtiment qui s’offre un style byzantin typique de l’époque.

Le roi Charles Félix établit à Hautecombe une fondation de droit sarde au profit des moines cisterciens de la Consolata de Turin.

La Fondation de Charles Félix comportait une obligation pour les communautés installéeREINE MARIE CHRISTINEs de sauvetage des naufragés du lac d’où la construction d’un phare à l’arrière de la chapelle St André.

Ce phare servait surtout de lieu de contemplation pour Marie Christine qui s’y était fait installer un boudoir, réplique de son bateau royal.

Le Traité de 1860 qui annexait la Savoie à l’Empire français fut suivi d’une convention internationale et d’un décret impérial reconnaissant aux moines la possession de l’abbaye, à la réserve des droits de la famille de Savoie sur les appartements royaux et le patronage.

La valse de communautés.

Les moines de la Consolata, tous italiens, se considéraient comme en exil sur les terres de Savoie et s’en plaignaient haut et fort. On introduisit alors des membres savoyards, ce qui ne fit qu’envenimer les esprits car chaque communauté appliquait sa propre règle. Cette communauté hétéroclite périclita rapidement.

En janvier 1864, le pape autorisa l’installation de cisterciens venant de l’abbaye provençale de Sénanque, qui intégrèrent les moines de la Consolata encore en place.

Cette nouvelle communauté déclina rapidement elle aussi, sous les coups portés aux institutions religieuses par les lois anticléricales des années 1880.

Les moines de l’abbaye sainte Madeleine de Marseille, d’obédience bénédictine, furent alors sollicités pour s’installer à Hautecombe en 1922.hautecombe_moines

Les moines noirs administrèrent l’abbaye avec beaucoup de bienveillance, mais se trouvèrent sans cesse dérangés dans leur mission religieuse par le flot touristique s’abattant sur l’abbaye.

Ils votèrent leur déménagement pour Ganagobie en 1992.

Le roi Humbert II, mort en exil en 1983, légua ses biens et droits à la fondation d’Hautecombe.

L’archevêché chambérien fit appel à la Communauté du chemin neuf qui s’installa à la suite des moines en mai 1992.

                                                                                            (Joël  Lagrange  février 1998).